Dans un arrêt du 7 juin dernier la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour violation du droit à la vie, en raison du tir mortel d’un gendarme sur le passager arrière d’une voiture en fuite.
Elle s’est principalement fondée sur l’absence de danger immédiat pour justifier d’un tel tir et sur le fait que les occupants étaient soupçonnés d’avoir commis des atteintes aux biens (non aux personnes) et n’étaient pas armés, ce qui ne justifiaient ce faisant pas une telle atteinte à leur droit à la vie.
Les évènements tragiques de la nuit du 27 au 28 novembre 2008
Rappelez-vous, cela se passait durant la nuit du 27 au 28 novembre 2008, un jeune était décédé à la suite du cinquième ou sixième tir d’un gendarme alors qu’il se trouvait à l’arrière d’un véhicule en fuite, que les forces de l’ordre tentaient d’arrêter pour interpeller les occupants soupçonnés d’avoir commis un vol de carburant et un cambriolage.
Une instruction était ouverte contre ce gendarme et se terminait par un non-lieu, le juge d’instruction saisi considérant que l’usage de l’arme était absolument nécessaire et qu’il y avait lieu de conclure à l’irresponsabilité personnelle du gendarme tireur.
La famille de la victime avait fait appel de cette ordonnance de non-lieu devant la Chambre de l’Instruction, en vain…
Le droit à la vie n’est pas un droit absolu mais pas non plus un droit subsidiaire…
Le droit à la vie, en tête des droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme, n’est pas un droit absolu.
Le droit à la vie n’est pas violé lorsque la mort résulte, dans le cadre d’une arrestation régulière, d’un recours à la force absolument nécessaire…
Et il n’y a pas, il ne peut pas y avoir absolue nécessité, selon la CEDH dans un cas comme celui-ci!
Il ne peut y avoir pareille nécessité lorsque l’on sait que la personne qui doit être arrêtée ne représente aucune menace pour la vie ou l’intégrité physique de quiconque.
Il ne peut être reconnu une telle nécessité lorsque la personne poursuivie n’est pas soupçonnée d’avoir commis une infraction à caractère violent.
Il ne peut encore moins être relevé quelconque nécessité au seul motif que l’absence de recours au tir rend quasiment impossible d’arrêter le suspect ou le fugitif.
La force utilisée doit être strictement proportionnée aux buts légitimes visés.
Le droit à la vie de l’un s’arrête là où commence le droit à la vie de l’autre…
Une appréciation française toute subjective du recours nécessaire à la force
Que dire alors, compte tenu de ce qui précède, d’un magistrat instructeur qui, mettant en balance le vol de carburant et un cambriolage sans la moindre violence avec plusieurs tirs d’arme à feu dont chacun peut être mortel, estime le recours à la force régulier et légitime ?
La CEDH a pourtant l’esprit large puisqu’elle considère que le recours à la force peut se justifier par une conviction honnête, fondée sur de bonnes raisons – même si elles se révèlent ultérieurement erronées -, d’une possible agression par le suspect ou fugitif.
La CEDH a donc, à la lumière des principes et limites qui précèdent, examiné les circonstances de drame…
Et contrairement au Juge d’instruction, mais également de la Chambre d’instruction confirmant l’ordonnance de non-lieu qui avait anéanti tout une famille et une partie de la population, la CEDH a considéré que la force utilisée n’était absolument pas nécessaire, ce qui apparaît relativement manifeste…
Une accumulation d’indices relevés froidement en faveur du droit à la vie par la CEDH
Se fondant sur une analyse minutieuse et précise des circonstances, la CEDH a considéré que le degré de risque de l’utilisation de la puissance du feu contre le véhicule n’était manifestement pas proportionné au regard du danger représenté par la voiture fugitive et l’urgence qu’il y avait à l’arrêter.
Et la Haute Cour relève que :
- certes, les autorités avaient d’abord actionné les avertisseurs sonores et lumineux
- effectivement elles ont effectué deux tirs de flash Ball,
- dans ce même esprit, elles ont adressé des sommations interpellatives lorsque le véhicule s’était trouvé bloqué par un dispositif de gendarmerie
- bien sûr, le véhicule avait roulé à vive allure en direction du gendarme, obligeant celui-ci à l’esquiver.
Toutefois, comment ne pas relever et souligner la connaissance qu’avait ce dernier gendarme, qui a tiré à sept reprises sur ce véhicule :
- de la présence de trois personnes dans la voiture
- du grand risque de blesser ou tuer ces occupants
- des chances quasiment inexistantes de toucher le moteur ou les pneus pour stopper le véhicule.
« Un tel degré de risque pour la vie ne peut être justifié que si la puissance de feu est utilisée en dernier recours, pour éviter le danger très clair et imminent que représente le conducteur de la voiture au cas où il parviendrait à s’échapper ».
Il a fallu admettre que le véhicule avait opéré des manœuvres dangereuses.
Mais il a fallu également relever que ces manœuvres étaient uniquement imputables au conducteur et non pas aux passagers qui ont été touchés par les tirs et qui eux étaient soupçonnés d’avoir commis des atteintes aux biens alors qu’il n’a jamais été considéré qu’ils étaient armés.
Il a fallu également s’attarder sur le fait qu’au moment des tirs, la vie du gendarme et de ses collègues n’était plus menacée, le véhicule étant déjà en fuite, sans mettre par ailleurs en danger d’autres usagers de la route.
La CEDH exclut ainsi que le gendarme ait pu agir avec la « conviction honnête que sa propre vie et son intégrité physique, de même que la vie de ses collègues ou d’une autre personne se trouvait en péril ».
L’ironie du droit à la vie
Comment ne pas être stupéfait par la décision d’un juge d’instruction en droit interne qui exclut toute forme de responsabilité du gendarme confrontée quelques années plus tard à la décision de la CEDH qui relève des éléments de fait de pur bon sens qui ne peuvent que heurter quant à l’usage proportionné de la force au nom de l’ordre public et du droit à la vie…
Serait-ce par ironie que la Cour européenne des droits de l’homme indique pour en terminer « que, postérieurement à la présente espèce, la France a adopté, le 28 février 2017, une loi qui, intégrant les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour, énonce que les forces de l’ordre ne peuvent faire usage de leur arme qu’en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée »?