Les médias évoquent beaucoup le terrorisme et le prosélytisme dans la radicalisation chez les hommes, beaucoup moins celui des femmes.
Les femmes y jouent pourtant un rôle majeur.
En revanche, leur surveillance n’est pas aussi développée et élaborée que celle de ces hommes qui passent à l’acte.
L’audience qui s’est tenue le 7 septembre dernier devant la 16ème Chambre Correctionnelle du Tribunal de Paris vient donner un aperçu de l’importante influence des femmes dans la radicalisation de nombre d’entre elles et de leur rôle dans les entreprises terroristes.
Une femme de 37 ans, Nadia, y était jugée pour avoir incité des jeunes femmes à partir faire le djihad et avoir apporté une aide logistique à l’une d’entre elles pour y parvenir.
Découverte de l’infraction
La police remonte à Nadia lorsqu’elle l’interpelle le 20 septembre 2014 avec Myriam, alors âgée de 17 ans à l’aéroport de Marseille.
La jeune fille, encore mineure, s’apprêtait à rejoindre la zone de combat syro-irakienne par la Turquie, avec pour seul bagage une valise contenant un niqab et du shampoing, parce qu’au « Shâm » il n’y a pas de shampoing….
Mais elle persévère et finit, quelques semaines plus tard, par réussir à rejoindre celui qu’elle venait d’épouser, qui se faisait appeler Abou Uthman, piétinait des têtes décapitées dans des vidéos de propagande de Daech et avait pour identité de naissance Mickaël Dos Santos.
Et, c’est Nadia qui hébergeait la jeune femme la nuit du 29 au 30 novembre 2014, qui a précédé son second départ…
Depuis, plus de traces de Myriam en France où elle est finalement jugée, ce 7 septembre 2018, aux côtés de Nadia, pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste …
Le cas de Myriam et l’influence qu’il est reproché à Nadia d’avoir eu sur elle ne sont pas isolés.
Il ressort des débats lors de cette audience qu’à l’instar de nombreuses autres adolescentes, Nadia aurait approché et incité Myriam, encore adolescente, à épouser la cause du djihad et à faire sa hijra vers les territoires contrôlés par l’État islamique.
Ce travail d’endoctrinement est long puisque des déclarations du père de l’adolescente, voici des années et à tout le moins depuis qu’elle a 14 ans que Myriam se radicalise à force de « rappels » théologiques de Nadia sur Twitter…
Le recoupement de nombreux témoignages de proches de Myriam permettent au Tribunal de considérer que Nadia grâce à son influence grandissante est parvenue à créer un lien de confiance et de proximité avec la jeune fille.
C’est ainsi qu’au fur et à mesure un contact téléphonique avec la jeune femme pour que finalement Nadia l’héberge à son domicile à Marseille où elle peut poursuivre son travail consistant à convaincre, préparer et instruire Myriam pour rejoindre les rangs de l’Etat Islamique.
Une propagande mal faisandée mais suffisante pour des adolescentes vulnérables
Ce qui est surprenant c’est le travail grossier de propagande de Nadia qui n’a jamais paru ridicule ni excessif à ces adolescentes au moment des faits, bien que la plupart le relèvent désormais à l’audience.
L’appât de l’instruction religieuse est très court, et l’influenceuse au djihad semble très peu encline aux propos mesurés ni capable de préserver une apparence de sagesse et de retrait.
« Quand elle s’emporte, elle [Nadia] va trop loin, elle dit n’importe quoi ».
« Nadia, c’est confessions intimes. Elle parle beaucoup d’elle et de religion, de manière extrême. Elle était très virulente et ressentait une haine féroce contre les mécréants. Elle était malade de la tête, elle incitait tout le monde à partir au Sham ».
En toile de fond une société parallèle…
Au cours des débats, il ressort également les mariages hâtifs et bien éloignés de ce qui se pratique en France dans les familles même de celles qui ont décidé un jour d’épouser un combattant au Djihad…
Des hommes qu’elles n’ont jamais vu ou une fois, lui le regard en coin en colère, elle sous son hijab, voir même son niqab…
Nadia n’est pas une exception.
L’une de ces adolescentes le lui permettra en lui proposant de se marier avec Valentin récemment condamné à sept ans d’emprisonnement pour association de malfaiteurs terroriste….
Nadia aura eu seulement besoin qu’on le lui décrive comme un jeune homme pieu et lettré.
Et de cette aussi brève que particulière union est né, derrière les barreaux de la prison de Fleury Mérogis, un enfant …
Une chance infime de réinsertion et de déradicalisation.
Alors qu’elle attendait d’être jugée, près de 20 mois après son incarcération, en janvier 2017, Nadia est condamnée pour des menaces de mort contre ses codétenues…
Elle est décrite en matrone prosélyte, hystérique et ultra-violente, qui terrorisait le quartier de la nurserie de Fleury-Mérogis.
Nadia a une position très marquée de déni total et de distance incroyable avec la réalité de la société dans laquelle elle vit pourtant.
S’agissant de Myriam, elle dira que c’est l’adolescente qui a tout manigancé pour se rapprocher d’elle et rester dormir chez elle, jouant « un jeu » avec elle.
Lorsqu’il lui sera rappelé les déclarations de sa disciple qu’elle aurait incité à faire sa hijra, elle expliquera qu’elle n’y est pour rien, que Myriam était obsédée par ce périple, souhaitant rejoindre une amie déjà partie et aurait incriminé Nadia pour se couvrir après des policiers …
S’agissant de sa marieuse, Nadia rétorquera que Fadila a tenté de se dédouaner en la chargeant car elle avait déjà tenté de partir pour le Yemen.
Nadia ne s’expliquera pas tout au long de son procès ces déclarations concordantes des adolescentes comme de ses codétenues, qui ne sont, selon elle, que des ragots et de la rancœur, peut être même de la jalousie due à son charisme…
Dans son rapport de détention, le psychiatre qui la suit écrit : « Cette femme a la conviction inébranlable de se trouver au centre d’un complot. Elle a pu développer une psychose carcérale. Elle est habitée d’un fort sentiment d’injustice ».
Un parcours de vie qui façonne le positionnement radicalisé de la prévenue
Malgré les violences intra familiales, la prévenue est une enfant intelligente qui poursuit brillamment ses études jusqu’à ce que sa mère l’abandonne dans un village reculé de l’Oued, en Algérie, où elle restera huit mois avant de revenir en France chez sa mère.
Douée pour les études, elle doit à nouveau les abandonner alors qu’elle s’apprêtait à passer son bac économique et social pour aller travailler et aider sa famille.
Victime d’un viol à 19 ans, elle devient séropositive.
Elle est ensuite atteinte d’un cancer du col de l’utérus.
Et c’est en 2013, qu’elle s’investit totalement dans la religion et apprend tout de celle-ci avec les facilités dont elle dispose pour ensuite se faire remarquer sur les réseaux par la sagesse de ses « rappels » coraniques.
Sa réputation s’étend et attire ces jeunes femmes qui ont pour nombre d’entre elles un parcours similaire, à tout le moins difficile pour de multiples raisons, et les conduisent à Nadia, en quête de spiritualité, d’identité et de vérités rassurantes.
Une décision à l’image de la meurtrissure d’un pays
Le parcours de Nadia, la fatalité qui l’assomme depuis son plus jeune âge n’aura pas raison de la fermeté du parquet et du Tribunal.
La Procureur requiert cinq ans de prison, dont un an de sursis avec une mise à l’épreuve de trois ans.
L’avocat de Nadia sollicite la relaxe, les accusations n’étant fondées selon elle que sur des témoignages.
Le Tribunal condamnera Nadia à sept ans d’emprisonnement, assortis d’une peine de sûreté des deux tiers.
Quant à Myriam, absente du box des accusés et certainement encore en zone irako-syrienne, son cas est rapidement évoqué ; elle est condamnée à la peine maximale de 10 ans d’emprisonnement.
Des questions qui s’élèvent toujours plus nombreuses
Nadia va donc poursuivre donc son parcours en prison, aveuglée de certitude et de beaucoup de rancœurs, sans qu’il n’y ait véritablement d’espoir sur son aptitude, compte tenu de ce qui précède, à sa réinsertion…
Des aménagements de peine vont certainement être mis en place pour éviter ce que l’on appelle une « sortie sèche » ; d’ici là, il est fort probable qu’elle poursuive dans sa quête de vérité et d’embrigadement spirituel, risquant à nouveau de la conduire devant un tribunal correctionnel pour des infractions commises en détention.
C’est bien ici l’occasion pour les pouvoirs publics de s’inquiéter de l’urgence à créer les QER dans les quartiers des femmes en prison…
Ces quartiers d’évaluation de radicalisation en détention n’existent que pour les hommes alors que le risque est aussi grand chez le sexe opposé comme cette affaire vient précisément l’illustrer.
Nadia va-t-elle bénéficier et être en mesure de profiter réellement et volontairement du programme RIVE ?
Il semble qu’il s’agisse là de mesures essentielles sur lesquelles le Juge d’Application des Peines Anti-Terroriste qui suivra certainement Nadia aux abords de sa sortie de prison devra s’interroger.
Parce que la déradicalisation en prison est un mythe aujourd’hui en France.
Alors que faire pour empêcher ces femmes comme Nadia d’éructer dans les couloirs de détention des propos haineux auxquels un public fragile et sans liberté est fragile sans piétiner nos libertés fondamentales comme ils piétinent les têtes de décapités de l’autre côté de l’Orient ?
Comment envisager ce processus de déradicalisation dans un milieu carcéral déjà si compliqué notamment quant aux conditions de détention…
Et enfin, dans cette histoire, beaucoup ont sans doute été surpris et même interloqué de réaliser que pendant des années, Nadia sévissait sur les réseaux sociaux, exploitant la déperdition de nombreuses jeunes femmes et publiant des propos extrêmement violents.
Comment de telles diffusions ont pu échapper à nos radars ?
Comment personne n’a-t-il pu signaler ce fiel rampant qui s’insinuait au sein d’une partie de la jeunesse ?
C’est toujours la même et infinie question du subtil et fragile équilibre entre les libertés fondamentales notamment de pensée et d’expression et la prévention comme la sanction des délits d’apologie du terrorisme et d’incitation à la haine jusqu’aux des crimes de haine.